
Antoine Henry, c’est le genre d’artiste qui a eu mille vies, une enfance stimulante à Paris, avec toute l’abondance culturelle qu’offre une grande métropole. Il commence sa vie d’adulte par des études de littérature française et américaine, puis il va s’orienter vers une école de mode, il a envie de créer. Il passe de nombreuses années dans les ateliers de haute couture dans de grandes maisons en tant qu’assistant styliste. Le motif et la couleur sont déjà une obsession. Par la suite, il va beaucoup voyager pour les relations internationales de ces mêmes maisons. Ces voyages vont remplir son esprit de références.
Puis, il arrête cette vie frénétique de l’univers des maisons de luxe pour se consacrer à l’enseignement et à la transmission de la mode au Japon. C’est au pays du soleil levant qu’il va avoir le déclic de se consacrer à la peinture.
De retour en France, après un choc artistique avec l’exposition de Pollock au centre Georges Pompidou, il va chercher, expérimenter, observer les artistes qui l’intriguent et le touchent par leur peinture, pour trouver et définir son style pictural. Il commence par des petits formats, il passe par des ratés, des échecs. Mais, il va persister pour avancer et permettre à son hyper sensibilité colorée et scénographique de s’exprimer.
La musique et la littérature vont beaucoup nourrir et alimenter sa manière de peindre. Il est en perpétuelle interrogation sur sa peinture et sa technique, il ne veut pas rester sur ses acquis, il cherche de nouveaux outils, il les détourne, pour obtenir les matières qu’il recherche pour ses toiles.
Le processus pictural est régulier, il passe par plusieurs étapes. Tout d’abord, il a un rituel prendre un café au bistrot du coin. Il aime observer, écouter et faire des croquis des gens qu’il observe discrètement. Il s’attarde sur des attitudes, la disposition du mobilier, des objets, la lumière. Il constitue une sorte de banque de données immense sur les pages de ses carnets. Ainsi, il fait rejaillir des fragments de moments de vie : les scènes d’intérieur et les paysages qu’il peint sont comme des madeleines de Proust qui reviennent à sa mémoire ou à la notre, de manière visuelle mais parcellaire et sélective. On retrouve toujours l’intensité de ces instants passés.
Ensuite, il va travailler les fonds, couche après couche, trouver le bon assemblage coloré, pour faire apparaître les décors de ses peintures. Ses toiles sont comme des fenètres sur des intérieurs ou des paysages, le spectateur est comme un voyeur plongé dans les souvenirs d’un autre.
La couleur est le maître-mot de sa peinture, ses toiles semblent sombres et mélancoliques, mais ce n’est pas ce qu’il cherche. Il va plutôt trouver le moyen de faire sortir la lumière de ses fonds. Le jeu subtil de couches et de touches vont permettre la création de ces monochromes texturés. Il gratte, retire, retrace dans la peinture fraîche. La peinture à l’huile lui offre toute la liberté pour escaver ces paysages et ces scènes d’intérieur.
Si on veut trouver la tristesse et la noirceur dans son univers, c’est dans les toiles les plus claires que se trouvent les souvenirs douloureux. L’influence de la culture japonaise est présente dans l’utilisation des couleurs symboliques comme le blanc du deuil. Il est à contrepied de la symbolique des couleurs occidentales. Alors, si vous voyez des toiles dans des variations de blancs et de couleurs très claires, ce sont des souvenirs pénibles.
Une partie des toiles qui n’ont pas trouvé leurs lieux de vie, sont reprises pour leur donner un nouvel éclat, un rééquilibre qui leur permettra de quitter la pile de l’atelier.
Armance Rougiron